vendredi 1 août 2008

Médiatiquement correct ! (1998-2004) 465 notes et maximes au dégoût du jour


■ Publication. Ce recueil a d’abord paru aux éditions Paris-Méditerranée en janvier 1998, puis, augmenté de 200 maximes, aux éditions Parangon en septembre 2004. Dans l’un et l’autre cas, le succès n’a pas été au rendez-vous, - c'est un euphémisme… Je ne renie pas pour autant cet ensemble, dont la « Quatrième de couverture » donne l’avant-goût que voici :

« Face à un monde qui détruit ses repères pour leur substituer des idoles, la liberté de l’esprit sera iconoclaste ou ne sera pas. Il nous faut sans vergogne faire le ménage :

● Aide au tiers-monde : L’homme est une louve pour l’homme.
● Communauté internationale : Instance morale qui s’émeut des violations des Droits de l’Homme partout où celles-ci freinent le libre accès au pétrole.
● Économie : Une des rares sciences exactes capable de prévoir ce qui devait se produire, une fois que c’est arrivé.
● Gouvernance française : Train-train à grande vitesse.
● Intellectuel en vue : Intermittent de la lucidité.
● Logique patronale : Compenser les gains de productivité par un allongement de la durée du travail.
● Maison de retraite : Se dit de certaines morgues non encore climatisées.
● Placement humanitaire : À vous la cerise. À nous le gâteau.
● Réalisme de gauche : Trahison des promesses sociales par fidélité aux objectifs sociaux.
● Sociale politique : Il convient de tout donner à ceux qui n’ont rien, sans rien prendre à ceux qui ont tout.
● Vengeance américaine : Oil pour oil, dent pour dent. »


■ Genèse. J’ai toujours apprécié les moralistes et leurs aphorismes, y compris lorsque ceux-ci affectent de célébrer ce qu’ils dénoncent pour en montrer l’absurdité ou l’horreur. C’est ainsi que Montesquieu, usant de l’ironie, stigmatise l’esclavage des Nègres en le « justifiant » par des formules d’un racisme caricatural comme celles-ci : « Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête […] On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir » Je puis citer aussi Racine, qui fait dire au juge Dandin à propos du spectacle de la torture : « Bah ! Cela fait toujours passer une heure ou deux »

Dans les Mémoires d’un futur président, m’autorisant de ces modèles, je prêtais à mon personnage des « citations » d’autant plus cyniques qu’elles jouaient à être candides ou humanistes, comme : « Entre l’injustice et l’impuissance, Messieurs, je choisis l’efficacité ! » ; ou encore : « J’ai toujours eu horreur de la violence aveugle : la nôtre était lucide. » Ayant accumulé au fil des ans un certain nombre de formules de ce genre, souvent inspirées de propos réellement prononcés par des responsables divers (à l’image du fameux « temps de cerveau disponible » de Patrick Le Lay), j’ai donc projeté d’en faire un recueil, avec la complicité des éditeurs. Ces « maximes » devaient amuser ou surprendre, de sorte que le lecteur y reconnaisse des mini modèles sentant la phrase connue, et faussement innocente. Je désirais produire des énoncés grinçants qui ne soient pas grincheux, mais toujours éclairants même lorsqu’ils paraissent exagérés. L’un de ceux-ci précise d’ailleurs mon intention : « Dans un monde où la bêtise est virulente, il nous faut rendre l’intelligence contagieuse »…

■ Du pessimisme littéraire. Je sentais le risque, en rassemblant ces aphorismes, de tomber dans le désespoir rhétorique qu’affectionnent certains littérateurs (Cioran n’en est pas exempt). Le message rebelle que l’on transmet n’est plus alors qu’un prétexte à faire des « mots d’auteur ». Je me suis donc permis de faire mon autocritique en guise d’avertissement. Voici donc ce texte, qui illustre la façon dont je « fonctionne » lorsque je réagis par l’écriture à l’actualité. Comme je l’expliquais au « Furet qui veille » (voir Itinéraire d’un écrivain 2), on est souvent conduit, pour être « positif », à « négativer le négatif » :

« AVERTISSEMENT

"Tu exagères. C’est trop commode. C’est injuste. Parfois malveillant. Tu es de mauvaise foi. " : tels sont les reproches que je m’adresse à moi-même lorsque, certains matins, je relis les notes et maximes que la mauvaise humeur m’a inspirées la veille. Alors, je corrige, j’atténue. Je modère mon propos, en écrivant « souvent », « quelquefois », « il n’est pas rare que ». J’adoucis un cri d’indignation en simple mot pour rire. Il m’arrive même de « positiver », et de me dire et redire, envers et contre tout, qu’il faut « croire en l’homme malgré l’homme. » Et ceci chaque matin, l’espace du matin.

Mais voici que le jour s’avance, avec son cortège d’atrocités et de jésuitismes qui les couvrent. Voici que reviennent les poncifs de l’actualité, les impératifs de soumission à l’époque, les dénis de vérité de la « communication correcte ». Les médias font croire qu’ils pensent, les chantres de l’économie font croire qu’ils savent, les acteurs politiques font croire qu’ils croient. Et le discours dominant s’enrichit au fil des heures d’expressions nouvelles, plus habiles les unes que les autres à justifier l’injustifiable, chaque jour plus consternantes que celles que je croyais caricaturer la veille.

Alors, partagé entre l’écoeurement, la colère et le « parti d’en rire », j’essaie de réagir pour respirer. Je me laisse reprendre par l’illusion que la parole solitaire peut suffire à pourfendre les bavardages du monde. Je cède à la posture du moraliste qui se flatte, en fustigeant la modernité, à la fois d’élever son âme et de sauver les hommes. J’ose le sarcasme salutaire et cynique, cette inversion de la naïveté riant enfin d’elle-même. Je « négative » pour contrer les négativités du Monde, au risque d’affecter le désespoir cinglant, seul moyen qui demeure de fuir la poisse du pessimisme ambiant – cette autre forme de démission…

Reste-t-il de l’injustice dans ces définitions et maximes « au dégoût du jour » ? Bien entendu ! Des affirmations risquées, aussi péremptoires qu’abusives ? évidemment. Des boutades trop commodes ? Sans doute, et c’est au lecteur qu’il convient maintenant d’en faire la part, prenant à son tour la distance qui s’impose à l’égard d’un auteur trop porté à la généralisation hâtive… »

N'est-il pas pertinent, pour conclure ce débat, de citer la devise empruntée par A. Gramsci à R. Rolland : « Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté. » ?


F.B.

Aucun commentaire: