mardi 3 juillet 2012

"Le Bonheur conforme" réédité aux éditions de Beaugies (juin 2012)


Le Bonheur conforme enfin réédité...


Il est difficile de publier un ouvrage. Il ne l’est pas moins de le maintenir en vie, dans un monde éditorial qui juge des publications en termes de rentabilité immédiate. Pour l’écrivain authentique, chaque livre est l’élément d’un ensemble : une petite pierre de l’œuvre qu’il édifie au fil des ans. Pour l’éditeur, marketing oblige, c’est un produit lancé au coup par coup, et de moins en moins « durable ».
Que peut donc faire l’auteur, quand il voit sa production globale soudain amputée de livres encore « vivants », alors qu’il n’a pas encore publié des textes inédits qui lui sont essentiels ? Renoncer, ou résister ? Assister à la mort lente des fruits de sa conscience ? Ou prendre en charge le destin de son œuvre ? C’est ce dernier choix que j’ai fait, en cherchant une « plateforme » susceptible de relancer mes ouvrages. À commencer par la réédition du Bonheur conforme, dont les éditions Gallimard m’ont rendu les droits, fin 2011.
Ainsi est née l’AFBH, association qui gère les éditions de Beaugies, dont le site va s'étoffer dans les mois à venir ( http://editionsdebeaugies.org/ ). Après plus de quinze publications, j’ose encore croire à ma vocation d’écrivain : c’est-à-dire à ma capacité d’écrire et au « Sens » de ce que je « veux dire ». Mes amis les plus fidèles m’ont conforté dans le sentiment qu’il est bon que je continue d’apporter ma très modeste contribution à la très vaste littérature, celle qu’évoque Ionesco en ces termes : « La littérature, c’est ce qui empêche les hommes d’être indifférents aux hommes. » L’AFBH est le sigle qui résume le libellé de notre association " Humanisme et littérature engagée : association des Amis de François Brune / Bruno Hongre "
      
          Avant de procéder à cette réédition, je me suis posé la question de savoir si je devais reprendre mes analyses à partir d’exemples plus récents, sachant qu’au fil des années, l’imagerie publicitaire (panneaux, spots, slogans) s’est évidemment renouvelée. Ce dont j’ai tenu compte dans les divers articles que j’ai publiés depuis, notamment dans « Les Médias pensent comme moi ! » (L’Harmattan)
          Mais si la forme et les armes de la « pub » ont varié, l’idéologie qui les traverse n’a pas bougé d’un pouce. Qui contesterait aujourd’hui, par exemple, les effets délétères, notamment sur les enfants, d’une hyper-sexualisation dominante censée stimuler l’hyper-consommation? Idem pour la thématique de la puissance et de la performance, qui sont sans fin célébrées comme des « droits », frustrant les citoyens « les moins favorisés » qui ne sauraient y accéder. La promesse du « tout tout de suite » et le « règne du plaisir » demeurent la toile de fond de nos soifs d’aujourd’hui, à l’aide de « nouveaux » slogans aussi parlants que celui-ci : « Le plaisir, c’est de changer de plaisir. » Ce n’est pas le moindre paradoxe de l’idéologie du changement que de se répéter telle quelle, au point de ne se saisir du concept de « durabilité » que comme d’une variation parmi d’autres : « Une relation durable, ça change la vie » (Crédit agricole).
     Je pourrais accumuler les citations-refrains glorifiant l’identité-produit (l’aliénation des filles et garçons aux marques qui définissent leur « moi je »), ou opérant la sempiternelle réduction des valeurs humaines à l’ordre unidimensionnel de la consommation : Écoutez votre âme…nous dit une publicité de 4/4. Je pourrais illustrer la violence possessive instillée dans l’imaginaire collectif par des années de conditionnement (cf. le slogan « Je le veux, je me l’offre » : parole de nanti occidental se saisissant du produit fabriqué à l’autre bout du monde, dans des sous-sols insalubres, par des enfants maltraités).
Ainsi, la description critique des effets dominants du système publicitaire, tel qu’il sévissait déjà il y a trente ans, nous éclaire sur la façon dont a été dressé le sujet consommateur déambulant dans nos villes. En sachant d’où viennent les parents d’hier, on ne s’étonnera pas de voir ce que deviennent les enfants d’aujourd’hui.
        Le premier intérêt de cette réédition est donc historique. Elle entend faire date. Si elle montre en quoi la « normalisation » publicitaire a réussi, elle rappelle aussi par quels moyens les rebelles au système ont tenté de lui résister et lui résistent encore. Lorsque fut fondée RAP (Résistance à l’Agression Publicitaire), en 1992, la plupart de ses co-fondateurs, Yvan Gradis, René Macaire, Bertrand Poirot-Delpech, se reconnaissaient précisément dans les analyses du Bonheur conforme et dans sa proclamation initiale : « Il ne sera pas dit que nous nous laissions faire ». Et leurs successeurs sont loin de renier ce livre lui-même « fondateur ».
        La seconde raison de maintenir en vie cet ouvrage, c’est l’intérêt didactique que lui ont reconnu ses lecteurs. Résister implique un effort d’élucidation à la fois sur soi (en quoi suis-je vulnérable aux messages ?) et sur notre environnement mental (comment le système nous piège ?). Le décryptage des spots, l’approche méthodique des niveaux d’influence auxquels nous sommes soumis (depuis la conduite d’achat jusqu’au mode de pensée), le repérage de l’idéologie qui imprègne ce qu’on croit être de pures techniques de signification, tout cela ne saurait s’improviser et requiert une sorte d’apprentissage. Sans cette prise de conscience, aucune action militante ne peut être efficace, ni aucun citoyen vraiment libre.
       Cette réédition est donc l’occasion d’une renaissance militante : face aux aliénations que reforment chaque jour les discours dominants, il nous faut bien renaître chaque matin à la liberté par la conscience. C’est aussi pour moi le bonheur d’une renaissance littéraire, puisqu’elle ouvre la voie à des publications de livres qui me tiennent à cœur, et qui jusqu’alors n’avaient pas pu… voir le jour !

F.B.