lundi 25 août 2008

Mes autres livres, passés ou à venir (2008-2…)



■ Interrogation récurrente : « Qu’écris-tu, en ce moment ? »
En somme, j’ai beaucoup écrit. C’est assez étrange, vu le nombre de fois où, dans la dimension graphomane de mon existence, j’ai éprouvé le sentiment à la fois de n’avoir plus qu’à me taire et de n’avoir pas encore dit l’essentiel. D’où ce trouble qui me saisit lorsque tel ou tel ami me demande : « Qu’est-ce que tu écris, en ce moment ? ». Plus d’une fois, j’ai failli répondre : « Je suis en train de ne rien écrire ! Je suis sec, j’ai tout dit ! Alors, alors… je la ferme ! » Et puis, le tropisme de la plume chassant le désir de faire silence, je me retrouve bientôt, modeste Sisyphe, gravissant ma montagne en y roulant un nouveau rocher.
Je ne parle pas seulement ici de mes ouvrages didactiques, comme Le Dictionnaire portatif du bachelier, Révisez vos références culturelles ou L’ Intelligence de l’explication de texte : j’ai fait ces sommes parce que j’y ai cru, et j’y travaillerai encore s’il le faut. Je parle de mes textes plus personnels, non pas de simples recueils d’articles, mais de ces livres qui méritent, par leur cohérence et leur unité, le nom d’œuvres. Qu’est-ce qui fait que l’on continue non pas seulement d’écrire des lignes, mais de concevoir des œuvres, fussent-elles de courtes nouvelles ?

Cette question m’étonne d’autant plus qu’à la longue, je n’évite pas une certaine fatigue, et la sensation récurrente de l’à quoi bon écrire ! Pourquoi continuer sur sa lancée, alors qu’on la sait parsemée de tant d’obstacles ? Pastichant Bernanos, je pourrais dire : « La persévérance, c’est la lassitude surmontée », ou « La confiance, c’est la détresse surmontée ». Toujours est-il qu’à un moment ou à un autre, je reprends le collier ou le joug, tel un « Bos suetus aratro », et repars affronter l’éternel refus des éditeurs…

La clef de l’énigme nous est peut-être donnée par Nerval. Dans Aurélia, il nous rapporte en effet l’une de ses manies, à l’époque où il séjournait dans la maison de Santé (mentale) du Docteur Blanche. La nuit tombée, il faisait le tour du parc d’un pas rapide, à l’heure où les astres apparaissaient au firmament, convaincu que sa marche était indispensable à l’harmonie des sphères, à la régulation du mouvement des corps célestes. Sans cette active participation, le cosmos se fût détraqué…
Je suppose qu’un homme normal rirait de ce délire. Cependant, sans ce délire, aucun écrivain ne persisterait dans l’écriture. Que nous l’avouions ou non, nous avons le sentiment, en écrivant, de tenir entre nos mains les destinées du monde. Sans nos livres, l’univers ne tournerait pas rond… Cher Nerval ! Il n’est pas impossible que son délire soit, beaucoup plus généralement, la raison suffisante qui explique toutes les actions humaines !

■ Mon passé à venir. Avant « d’écrire encore », lorsque je retrouve le silence, je me retourne en général vers mes livres achevés qui « dorment » (croit-on) dans mes tiroirs. En guise d’inspiration nouvelle, je relis ce que j’ai parfois écrit il y a 20 ans, et qui me semble toujours publiable. En l’occurrence, il s’agit surtout de deux textes ayant pour titres respectifs Le Rappel et L’ Inscription de Benjamin, dont je ne dirai rien ici, mais que beaucoup de mes amis ont lus et appréciés. Parce qu’ils méritent, selon eux comme selon moi, le nom d’œuvres, je sais qu’un jour je parviendrai à les éditer, en dépit du nombre impressionnant de refus que ces créations ont cumulés depuis vingt ans.
Naturellement, j’ai d’autres projets, qui passeront peut-être avant, et j’en noircis le revers de feuilles déjà imprimées (je m’en sers comme brouillon : économie de papier !). Il y a dans mon jardin beaucoup de pierres qui ne demandent qu’à être taillées pour s’assembler. Et même quelques pavés. Ce ne sont que des lignes, des éléments épars : quand je dis que je « n’écris » rien, cela signifie seulement que je ne suis pas en train d’écrire « une œuvre », mais non pas que j’ai cessé de rédiger. Sisyphe attend de penser son nouveau rocher avant de repartir vers les sommets…

■ Qu’est-ce qu’une œuvre ? J’ai peut-être trop vite évacué le mythe de la littérature comme accès à l’intemporel, dans mon premier texte (Itinéraire d’un écrivain). Sans tomber dans ce mythe, il faut bien constater qu’écrire, c’est croire à une parole durable en raison de son inscription même. Par l’écrit, je la « pérennise » provisoirement, si j’ose dire, jusqu’à ce que mon message soit reçu (lu, déchiffré) par mon interlocuteur (qu’il s’agisse d’une note adressée à un subordonné, d’un courrier que j’expédie à un parent, etc.). Verba volant, scripta manent. Alors que la communication orale est en principe instantanée, le message écrit, lui, pour aller à son destinataire, doit se maintenir « en vie » pendant une période plus ou moins longue : la « littérature » commence précisément avec la nécessité de franchir cet espace temporel qui sépare le moment où une personne écrit de celui où le lecteur ouvrira le livre (– ce qui peut durer des semaines, des années, ou des siècles !). Il faut donc soigner ce message pour qu’il « passe », pour que – bien après sa formulation originelle – il soit reçu aussi efficacement que possible, dans toute sa clarté et sa complexité. Il faut lui donner une sorte de vie autonome, de « cybernité » indépendante de l’auteur (qui peut entre-temps avoir disparu). L’art d’écrire dépasse la seule écriture au fil des pages : il consiste à faire d’un livre un édifice en soi, une sorte d’entité qui vit par elle-même, un éco-système à sa façon (que j’orthographierais volontiers « écho-système »). C’est précisément à cette création que je donne personnellement le nom d’œuvre. Et c’est parce que cet effort a pour objectif de franchir le temps que l’on vit l’art d’écrire comme un anti-destin.
Cela suppose qu’on se méfie des facilités du mode narratif auquel on réduit aujourd’hui la littérature. Une suite de pages ou de séquences, où un lecteur – même critique – croit pouvoir humer un « ton », peut faire croire qu’il y a du sens là où il n’y a ni unité ni cohérence, mais seulement succession de lignes. Ce sont les relations internes, les résonances qui se créent entre les parties et le tout, entre l’âme et le corps du texte, qui confèrent à l’œuvre sa puissance et sa vérité de Signe, de sorte qu’on ne puisse rien lui ajouter ni lui retrancher sans proprement la dé-figurer. Si elle n’est pas cela, aussi volumineuse soit elle, elle n’est qu’un assemblage de « papiers » sans consistance. Objectif premier : ne pas être inconsistant !

■ Comment savoir ? Oserai-je parler de mon cas ? Il y a des indices relatifs à l’expérience même de l’écriture : c’est le moment où le projet, longtemps mûri, devient un dispositif opérationnel. Le moment où la nébuleuse « cristallise », devient une galaxie tournant sur son axe central, et attire à elle, intègre sans son sillage, toutes les notes parcellaires, les éléments épars qui rodaient dans le « rêve d’œuvre » que l‘on faisait avant de passer à l’acte d’écrire. Il faut alors aller jusqu’au bout, donner du corps aux idées et de la signification au corps, travailler au « dessein » de l’œuvre qui s’est emparée de son auteur, du détail particulier à la charpente globale, dans un va-et-vient obsessionnel. Quand tout se coule dans le dispositif mis en place, c’est le signe que l’œuvre « prend, et de ce point de vue, il n’y a pas de différence spécifique entre une nouvelle, un roman, une pièce de théâtre, ou une mayonnaise…

■ Les amis lucides. L’autre moyen de savoir si l’on a vraiment fait une œuvre, et non une suite de pages, consiste à se fier aux amis lucides. Ceux qui à la fois comprennent le projet, et sont sans complaisance sur sa réalisation. Luc, Colas, Jacques, et bien d’autres. Ils ont l’avantage de voir le tableau à distance, alors que le peintre a encore le nez dessus. Ils sont capables de dire « Oui, c’est ça », comme de mettre en cause le projet même. Je leur dois le courage d’oser continuer, d’aller jusqu’au bout, et parfois de mieux comprendre grâce à eux ce que je voulais faire moi-même. Bien sûr, ils sont, ou ont été, des professeurs… et alors ? Faut-il s’abandonner aux poncifs de l’écrivain passant chez Pivot, qui dit n’avoir écrit que pour son plaisir, en se laissant mener par la plume sans savoir où il allait, etc. ? La leçon des œuvres véritables, qu’elles soient d’un genre mineur ou majeur, c’est qu’elles ont été pensées !

■ Les éditeurs ? Il faut bien l’avouer : il sont parfois lucides. Mais l’expérience que j’ai faite de leurs inconséquences (ce qu’ils refusent/ce qu’ils publient), ou des contradictions de leurs avis respectifs, me laisse dubitatif sur la confiance qu’on peut avoir en leur capacité de juger sainement des manuscrits. On en sait les raisons : manuscrits refusés sans être lus, jeu de lecteurs successifs aux impressions indécises (en quête d’un « ton » neuf sans entrer dans « l’intelligence » des œuvres), directeurs de collection qui ne lisent pas vraiment ou privilégient les auteurs qu’ils connaissent déjà, effets des modes à court terme et des poncifs de l’époque (« ce qui ne s’écrit plus aujourd’hui »/ « ce qui doit s’écrire maintenant » – ces scènes obligées, porno par exemple, censées refléter la modernité des mœurs), arrière-pensées commerciales, stratégies des prix « littéraires », craintes des critiques patentés dont les préjugés font la loi, etc., sans parler des embouteillages d’un système de distribution saturé par l’inflation de tant de titres médiocres.
Je dis tout cela sans acrimonie. Il m’arrive souvent de penser que ce fut aussi une chance pour moi d’être difficilement publié : la parution sans obstacle et le succès précoce conduisent à écrire n’importe quoi, par besoin névrotique de « paraître », – la névrose en question pouvant d’ailleurs être financière. Il ne faut ni se prendre pour un « nauteur-notoire » si l’on est publié par un grand éditeur, ni douter de son génie si l’on est refusé par les sous-fifres de son service des manuscrits. Le S.E.I.C.P. (Système des Éditeurs Institués et Critiques Patentés) n’a rien à voir avec une Providence chargée de faire connaître les grands Classiques de notre époque : il faut fuir cette dépendance infantile qui fait espérer d’un « Néditeur » la consécration d’un Père littéraire… Avec ou sans éditeurs, en les aidant à nous aider s’ils sont bien disposés, en les court-circuitant s’ils sont défaillants, il faut aller au public, grand ou petit, par tous les réseaux possibles (dont Internet), en oubliant la chimère ambitieuse de devenir « auteur à succès » ou d’être érigé par le système en « prophète » multimédia pour notre temps.

■ Et alors ? Eh bien, contre vents et marées, l’écrivain doit écrire. Pas un jour sans une ligne, devise connue. Pas un jour sans un simple mot, ou même sans un silence, le silence de l’écrivain étant encore, comme celui du musicien, une façon de se signifier. Avoir confiance dans les lueurs qui nous traversent et que d’autres attendent de nous. Faire ses lignes, préparer ses signes, répondre aux appels venus du monde, ou du fond de soi, ou du murmure de Dieu-en-soi, qui sait ? Produire ses fruits, aveuglément parfois, en se laissant traverser par un vouloir dire encore obscur, mais que l’énoncé rendra lumineux, ou que le public révèlera lui-même en lui trouvant le sens qu’il cherchait, en « décachetant » le livre comme on ouvre une enveloppe pour y lire un message dont le messager ignorait la véritable teneur.
Être écrivain, c’est continuer d’écrire.
F.B.

lundi 4 août 2008

L’Arbre migrateur et autres fables à contretemps… (2005-2010)

Ce recueil a vu le jour en juin 2005, aux éditions Parangon. Il comprend une dizaine de récits à portée symbolique, auxquels le nom de fables convient mieux que celui de nouvelles. Au risque de « vendre la peau de l’ours », j’ose ajouter « 2010 » comme date de publication, en anticipant sur une possible réédition qui serait alors largement augmentée… (N.B. Précision que j'apporte ce 27 juillet 2009 : le livre a pu reparaître, augmenté de cinq fables, pour le festival d'Avignon 2009!)

Genèse. J’ai écrit ces histoires au fil des ans, depuis un quart de siècle, chaque fois que m’en venait « l’inspiration » et que j’avais le loisir d’en mûrir la facture. Il se trouve que, quelle que soit la date de leur écriture, elles ont en commun d’être, si l’on veut, « des anticorps de l’époque au cœur de l’époque ». C’est ce qui leur donne l’unité qui fait d’un livre une « œuvre », et m’a conduit à en proposer la publication à divers éditeurs qui, soit n’en comprenaient pas le sens, soit doutaient de ses chances « commerciales »… jusqu’au jour où mes amis de Parangon ont été séduits par le projet, et par la présentation que voici :

« Quiconque s’embarque aveuglément dans son époque se trouve parfois projeté aux antipodes.
Un épargnant désireux de palper son fric s’égare dans Paris en distribuant des centaines d’euros. Un téléphile dont l’écran tombe en panne s’invente devant son poste éteint des spectacles virtuels qui le transportent au septième ciel. Un conducteur ne parvient plus à sortir du périphérique, par peur de déserter l’Humanité en marche. Des publicitaires, payés pour barbouiller de slogans les rochers et les arbres, rencontrent Dieu dans le désert, et changent d’employeur. Un buveur de soda s’éprend d’une bouteille-vampire. Quant à l’Arbre migrateur…
Autant de folles fictions, tantôt tragiques, tantôt hilarantes, qui s’inscrivent dans la logique autodestructrice de notre temps »

Réception du livre. Si l’on considère que le genre de la nouvelle « se vend mal », je n’ai pas trop à me plaindre de la situation des stocks... bien qu’on puisse espérer mieux ! Mais c’est surtout la qualité de mes lecteurs (qui, eux, ont compris mes intentions !) qui m’a été une grande joie, et m’a encouragé à composer un certain nombre d’autres fables dont j’avais le projet dans mes tiroirs (dont l’une, « La prise de la pastille », vient de paraître le 14 juillet dans la revue Le Sarkophage).
Je voudrais dire aussi que j’ai rencontré un jeune acteur – Jean-Luc Boucherot – qui s’est mis à conter avec succès l’histoire de « L’Arbre migrateur » auprès de divers publics, si bien qu’ayant appris cette fable par cœur, il en connaît maintenant mieux le texte que moi ! Il n’est pas impossible qu’il monte un spectacle consacré à plusieurs de ces contes. C’est sans doute la promesse d’une aube nouvelle...
Il va de soi que je n’ai pas grand’chose à ajouter à cette présentation, c’est au lecteur maintenant de lire et de juger sur pièce(s). Pour l’aider dans cette délicate tâche, je me permets de publier ici la première de mes fables :



" CONNEXION



Le galbe de la bouteille appelait la caresse de la main. Une paille extra-fine s’offrait aux lèvres du passant, promesse paradisiaque d’un élixir inconnu.

Glenn s’approcha, mû par le désir.


Drink life. Le message, sculpté dans le verre opaque, semblait avoir pour encre l’épaisse couleur sanguine du fruité. On buvait déjà la vie en le buvant des yeux.

Glenn saisit le flacon, qui épousa aussitôt la paume de sa main. Une chaleureuse fraîcheur l’envahit ; il pressa de ses lèvres la paille hyper-tonique, ressentit le doux scellement d’un contact profond, et puis ce fut le lent, l’irréversible ravissement si longtemps désiré.

Inutile d’aspirer : la boisson coulait d’elle-même dans sa gorge, l’imprégnant de ses essences fruitées.

Inutile même d’avaler : on était traversé sans effort par un flux sans fin de bonheur liquide.


Au bout de quelques secondes, Glenn éprouva l’étrange joie de sentir qu’il ne sentait plus. Le poids de l’existence disparaissait en même temps que la fatigue du chemin. La puissance euphorisante du breuvage lui donnait l’ineffable sensation de s’alléger à jamais de sa lourde substance corporelle, de s’élever dans le monde, de devenir le monde.

Et la bouteille ne désemplissait pas ! Au creux de sa main, au cœur de sa vie, elle était devenue la compagne d’un transport infini, la complice d’une soirée éternelle. Elle fondait en lui, il fondait en elle, dans une communication extatique qui ne devait plus jamais finir...


Quand on retrouva Glenn endormi dans le froid de la mort, certains s’étonnèrent que son corps fût exsangue.


Le flacon se dressait tout près de lui, pétillant de santé, la paille offerte aux lèvres du suivant. "

F.B.

dimanche 3 août 2008

Les Pèlerins d’Halicarnasse (2007), aventure philosophique



Ce récit, paru chez L’Harmattan en décembre 2007, n’est pas de moi, mais de mon ami Jean-Pierre Alain Faye. Je le sens néanmoins un peu mien, dans la mesure où j’ai contribué à l’achèvement de l’œuvre, et placé en exergue cette formule qui en précise la visée : « L’altermondialisme sera spirituel, ou ne sera pas ».

■ Circonstances. Début 2006, je reçois un manuscrit de Jean-Pierre Alain Faye, avec qui j’avais déjà largement correspondu une dizaine d’années auparavant. Ce texte m’intéresse, et je lui dis ma convergence sur le message global du livre, notamment l’idée que l’avenir du monde repose sur un humanisme spirituel qui ne soit pas encombré des dogmes d’une religion particulière. Je lui suggère aussi ce qui me semble être des améliorations du récit et du dialogue, qui ne modifieraient en rien le fond de ce conte philosophique. Nous échangeons alors nos vues, en un courrier nourri, amical, où chacun confie à l’autre les certitudes et interrogations de son existence. Jean-Pierre Faye, qui vivait en Guadeloupe, aurait aimé en juin 2006 que je vienne converser avec lui, me proposant même de collaborer à son livre. C'est seulement courant juillet que je compris l’urgence de son souhait : il était atteint d’une leucémie qui lui laissait peu de temps… De fait, j’appris sa mort vers le 15 août, et je reçus à la rentrée deux lettres déchirantes qu’il m’avait écrites dans la semaine précédant son décès. Il me demandait de ne pas oublier « Les Pèlerins d’Halicarnasse ». C’était son ultime message au monde, c’était la bouteille à la mer qu’il eût tant aimé conduire à son port. Je ne pouvais pas « me défiler ». Je me mis au travail. « Écrire, c’est "faire signe", en réponse à ce que l’on ressent comme un appel du monde », ai-je affirmé un jour : eh bien, c’est vrai aussi lorsqu’on est simplement invité à « réécrire »…

■ Le sujet. Voici l’argument de ce livre, tel que je l’ai résumé pour la quatrième de couverture :

Un petit groupe de touristes, quelque peu « altermondialistes », part visiter les ruines du Mausolée, à Halicarnasse. Savent-ils ce qui les attend ? L'ont-ils pressenti? Toujours est-il qu'ils y découvrent – ayant mystérieusement traversé les siècles – un message de mesure et de philosophie de la Nature, qui anticipe largement sur la lumineuse pensée de Spinoza.

Bouleversés par l'actualité de ce message, nos "pèlerins" sont ressaisis par les interrogations essentielles de l’Humanité : existe-t-il une Harmonie que nous enseignerait la Nature ? La critique des religions dispense-t-elle de chercher un sens mystique à cet étrange phénomène que nous nommons l’Univers ? Un autre monde est-il possible si les peuples ne s’accordent pas, d’abord, sur la dimension spirituelle de l’aventure humaine ?

■ La part de la réécriture. L’histoire des « Pèlerins » d’Halicarnasse est donc une marche vers l’essentiel, qui se présente à la fois comme un cheminement « romanesque » (personnages, événements, atmosphères) et un cheminement philosophique (interrogations, dialogues, échanges épistolaires). À ces deux niveaux, j’ai retouché le manuscrit, dans la plus scrupuleuse fidélité. Il n’est pas facile de se couler dans la vision d’autrui, tellement on peut être tenté de projeter la sienne : il va de soi que, sans les échanges soutenus que j’eus pendant trois mois avec Jean-Pierre, je n’aurais pas été en mesure de respecter ses idées et interrogations, au point de les affiner ou fortifier en certains endroits (notamment dans la seconde partie du livre, constituée des courriers que s’envoient mutuellement les personnages). D’une certaine manière, il me fut plus facile de retoucher et « dynamiser » l’aspect littéraire de l’ouvrage (mise en scène, narration et « vie » des personnages), question de « métier » peut-être, mais aussi parce qu’il me semblait indispensable de lier la démarche philosophique au caractère existentiel de l’aventure humaine. Ce sera au lecteur d’en juger…

■ Réception. Les témoignages personnels que je reçois, de personnes connues ou inconnues, montrent que le message de Jean-Pierre Faye « passe » et nourrit la quête des lecteurs de bonne volonté. Le livre commence aussi à être recensé et recommandé par quelques revues : dans Alternatives non violentes, La Décroissance, Entropia, Silence !, et aussi dans Le Monde diplomatique, sous la signature de Bernard Ginisty, qui fut directeur de Témoignage chrétien. Il est vrai que le système de diffusion fort restreint des éditions L’Harmattan n’a pas permis encore à ce livre d’atteindre un plus large public, mais on peut espérer : après tout, ce texte mérite autant d’être lu qu’un ouvrage comme Nature et Spiritualité de Jean-Marie Pelt, paru peu après. L’avantage de n’être pas vraiment l’auteur d’un texte, c’est de pouvoir sans honte en dire tout le bien qu'on en pense ! Que les lecteurs me pardonnent : cet appel est désintéressé...
F.B.

vendredi 1 août 2008

Médiatiquement correct ! (1998-2004) 465 notes et maximes au dégoût du jour


■ Publication. Ce recueil a d’abord paru aux éditions Paris-Méditerranée en janvier 1998, puis, augmenté de 200 maximes, aux éditions Parangon en septembre 2004. Dans l’un et l’autre cas, le succès n’a pas été au rendez-vous, - c'est un euphémisme… Je ne renie pas pour autant cet ensemble, dont la « Quatrième de couverture » donne l’avant-goût que voici :

« Face à un monde qui détruit ses repères pour leur substituer des idoles, la liberté de l’esprit sera iconoclaste ou ne sera pas. Il nous faut sans vergogne faire le ménage :

● Aide au tiers-monde : L’homme est une louve pour l’homme.
● Communauté internationale : Instance morale qui s’émeut des violations des Droits de l’Homme partout où celles-ci freinent le libre accès au pétrole.
● Économie : Une des rares sciences exactes capable de prévoir ce qui devait se produire, une fois que c’est arrivé.
● Gouvernance française : Train-train à grande vitesse.
● Intellectuel en vue : Intermittent de la lucidité.
● Logique patronale : Compenser les gains de productivité par un allongement de la durée du travail.
● Maison de retraite : Se dit de certaines morgues non encore climatisées.
● Placement humanitaire : À vous la cerise. À nous le gâteau.
● Réalisme de gauche : Trahison des promesses sociales par fidélité aux objectifs sociaux.
● Sociale politique : Il convient de tout donner à ceux qui n’ont rien, sans rien prendre à ceux qui ont tout.
● Vengeance américaine : Oil pour oil, dent pour dent. »


■ Genèse. J’ai toujours apprécié les moralistes et leurs aphorismes, y compris lorsque ceux-ci affectent de célébrer ce qu’ils dénoncent pour en montrer l’absurdité ou l’horreur. C’est ainsi que Montesquieu, usant de l’ironie, stigmatise l’esclavage des Nègres en le « justifiant » par des formules d’un racisme caricatural comme celles-ci : « Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête […] On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir » Je puis citer aussi Racine, qui fait dire au juge Dandin à propos du spectacle de la torture : « Bah ! Cela fait toujours passer une heure ou deux »

Dans les Mémoires d’un futur président, m’autorisant de ces modèles, je prêtais à mon personnage des « citations » d’autant plus cyniques qu’elles jouaient à être candides ou humanistes, comme : « Entre l’injustice et l’impuissance, Messieurs, je choisis l’efficacité ! » ; ou encore : « J’ai toujours eu horreur de la violence aveugle : la nôtre était lucide. » Ayant accumulé au fil des ans un certain nombre de formules de ce genre, souvent inspirées de propos réellement prononcés par des responsables divers (à l’image du fameux « temps de cerveau disponible » de Patrick Le Lay), j’ai donc projeté d’en faire un recueil, avec la complicité des éditeurs. Ces « maximes » devaient amuser ou surprendre, de sorte que le lecteur y reconnaisse des mini modèles sentant la phrase connue, et faussement innocente. Je désirais produire des énoncés grinçants qui ne soient pas grincheux, mais toujours éclairants même lorsqu’ils paraissent exagérés. L’un de ceux-ci précise d’ailleurs mon intention : « Dans un monde où la bêtise est virulente, il nous faut rendre l’intelligence contagieuse »…

■ Du pessimisme littéraire. Je sentais le risque, en rassemblant ces aphorismes, de tomber dans le désespoir rhétorique qu’affectionnent certains littérateurs (Cioran n’en est pas exempt). Le message rebelle que l’on transmet n’est plus alors qu’un prétexte à faire des « mots d’auteur ». Je me suis donc permis de faire mon autocritique en guise d’avertissement. Voici donc ce texte, qui illustre la façon dont je « fonctionne » lorsque je réagis par l’écriture à l’actualité. Comme je l’expliquais au « Furet qui veille » (voir Itinéraire d’un écrivain 2), on est souvent conduit, pour être « positif », à « négativer le négatif » :

« AVERTISSEMENT

"Tu exagères. C’est trop commode. C’est injuste. Parfois malveillant. Tu es de mauvaise foi. " : tels sont les reproches que je m’adresse à moi-même lorsque, certains matins, je relis les notes et maximes que la mauvaise humeur m’a inspirées la veille. Alors, je corrige, j’atténue. Je modère mon propos, en écrivant « souvent », « quelquefois », « il n’est pas rare que ». J’adoucis un cri d’indignation en simple mot pour rire. Il m’arrive même de « positiver », et de me dire et redire, envers et contre tout, qu’il faut « croire en l’homme malgré l’homme. » Et ceci chaque matin, l’espace du matin.

Mais voici que le jour s’avance, avec son cortège d’atrocités et de jésuitismes qui les couvrent. Voici que reviennent les poncifs de l’actualité, les impératifs de soumission à l’époque, les dénis de vérité de la « communication correcte ». Les médias font croire qu’ils pensent, les chantres de l’économie font croire qu’ils savent, les acteurs politiques font croire qu’ils croient. Et le discours dominant s’enrichit au fil des heures d’expressions nouvelles, plus habiles les unes que les autres à justifier l’injustifiable, chaque jour plus consternantes que celles que je croyais caricaturer la veille.

Alors, partagé entre l’écoeurement, la colère et le « parti d’en rire », j’essaie de réagir pour respirer. Je me laisse reprendre par l’illusion que la parole solitaire peut suffire à pourfendre les bavardages du monde. Je cède à la posture du moraliste qui se flatte, en fustigeant la modernité, à la fois d’élever son âme et de sauver les hommes. J’ose le sarcasme salutaire et cynique, cette inversion de la naïveté riant enfin d’elle-même. Je « négative » pour contrer les négativités du Monde, au risque d’affecter le désespoir cinglant, seul moyen qui demeure de fuir la poisse du pessimisme ambiant – cette autre forme de démission…

Reste-t-il de l’injustice dans ces définitions et maximes « au dégoût du jour » ? Bien entendu ! Des affirmations risquées, aussi péremptoires qu’abusives ? évidemment. Des boutades trop commodes ? Sans doute, et c’est au lecteur qu’il convient maintenant d’en faire la part, prenant à son tour la distance qui s’impose à l’égard d’un auteur trop porté à la généralisation hâtive… »

N'est-il pas pertinent, pour conclure ce débat, de citer la devise empruntée par A. Gramsci à R. Rolland : « Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté. » ?


F.B.