Ce livre, qui paraît enfin aux Éditions
de Beaugies, est sans doute celui dans lequel je me suis le plus investi. Je
viens ici compléter la présentation qui figure au dos de la couverture,
fatalement restreinte, en apportant quelques précisions sur ce que j’ai voulu
faire.
Descriptif
L’Inscription de Benjamin se
présente comme un dialogue, au sujet d’un roman qui porte ce même titre. Il y
a, certes, une « histoire » de Benjamin dont un certain nombre de
situations, plus ou moins « romanesques », plus ou moins
« banales », seront esquissées. Mais on ne sait rien de ce livre et
de son héros en dehors des échanges des deux protagonistes qui y renvoient.
Ces deux interlocuteurs sont mis
en scène dans le prologue. Ils se sont rencontrés au Quartier latin.
L’un d'eux, personnage central, est
Pierre-Jean Philippe, critique éminent, fasciné par L’Inscription de
Benjamin, qu’il vient de dénicher dans des circonstances qu’il juge
mystérieuses. Sans être le « narrateur » du roman, il a un tel besoin
d’en parler qu’il en retrace quelques épisodes, comme on commenterait une suite
de diapositives, citant même parfois, de mémoire, quelques extraits. Ces
évocations des moments supposés « vécus » par Benjamin sont
retranscrites en italiques.
L’autre personnage, celui qui dit
« je », est à la fois un contradicteur qui ne s’en laisse pas conter,
et le témoin « objectif » qui nous rapporte les propos tenus au cours
de ce dialogue animé. Il représente, si l’on veut, « François Brune »
jouant, l’espace d’un soir, l’ami (fictif) qui écoute plus ou moins patiemment
Pierre-Jean Philippe, et le pousse dans ses retranchements. La partie dialoguée
de cet échange est reproduite en caractères romains, en alternance avec les
évocations (en italiques) de la « quête » de Benjamin.
Au fil des pages de cette
narration dialoguée, l’évocation du héros, d’abord abstraite, va s’étoffer
jusqu’à faire de « Benjamin » une figure mythique, dont le regard qui
vous sonde et l’empathie qui vous comprend, ne doivent laisser personne
indifférent. En même temps, la question « Qui est Benjamin ? »
s’enrichit de l’autre question : « Mais qui est donc Pierre-Jean
Philippe, pour plaider si fort la cause de Benjamin ? ». Et ces
questions n’auront bien sûr, dans le livre, que des semi-réponses… conduisant
chacun à se les poser à son tour.
En vérité, l’ensemble de l’œuvre
nous renvoie à une double méditation, sur le mystère de l’Existence et sur le
« réel » de la Littérature, qui se trouvent si étroitement liées dans
ce mot si banal et pourtant si étrange : l’inscription.
Éclaircissements
Formellement, ce texte tente de
renouer avec la tradition des dialogues classiques, et je pensais évidemment à
Diderot lorsque je l’ai écrit. Certains de mes lecteurs y ont décelé aussi
l’influence (la « voix ») du héros de La Chute de Camus, bien
que je n’en aie pas eu conscience. Mais si j’ai pris ce parti formel, c’est
d’abord parce que le sujet même du livre, l’évocation de Benjamin, personnage
imaginaire, incertain de ce qu’il est, passionné de tout être, trop innocent
pour sembler viable, rendait tout à fait problématique son
« inscription » dans notre monde… y compris sous forme
romanesque !
Puisque je ne pouvais pas le
« raconter » en suivant les canons du roman réaliste, j’ai été
conduit à le faire « exister »… par la parole – méditative – et, plus
précisément, par le dialogue, qui a l’avantage d’être contradictoire. Cette
« clef » de la structure du livre est d’ailleurs suggérée au lecteur
(p. 191) : « Benjamin était trop idéal pour être. Semblable
aux pures Idées de Platon, il ne pouvait être contemplé que dans le reflet de
ce qu’on eût pu dire de lui ».
En cela, j’étais d’ailleurs
encouragé par ma propre expérience de lecteur. À l’époque où l’on glorifiait le
« nouveau roman » (dans les années 1960), j’avais remarqué que les
commentaires de ces ouvrages étaient aussi passionnants que leur
lecture pouvait être fastidieuse. D’où la question : ne peut-on pas faire
l’économie de cette lecture ? Faire un bon livre qui serait le commentaire
d’un roman qu’on ne trouve plus ? Faire le « profil d’une
œuvre » d’une œuvre inexistante… qui laisserait cependant dans notre imaginaire
un souvenir aussi impérissable qu’un grand roman traditionnel en bonne et due
forme ?
Mais pour moi, ce parti
pris formel ne devait pas être un simple exercice de style. Il fallait que la
nature du sujet ou du « héros » mis en scène lui convienne, ou même
l’exige. Par exemple, évoquer un personnage qui demeure « vivant » en
nous, quand bien même son « inscription » se serait effacée... Et
c’est précisément ce choix qui s’est finalement imposé à moi et m’a dicté la
structure du livre, une fois que j’en ai eu le projet, mais après bien des
tâtonnements.
Un mot encore sur le personnage
de « Benjamin », qui est en effet « le » sujet du livre. S’il
me tient à cœur et cristallise pour moi bien des interrogations, il n’est pas
le fruit d’une génération spontanée : il s’inspire de toute une lignée de
personnages lunaires, « candides », « innocents », plus ou
moins désabusés ou victimes de l’existence, qui peuplent la littérature. Je ne
suis pas le premier à avoir eu l’expérience de cette « naïveté
originelle » qui s’ouvre au monde sans arrière-pensée, qui en éprouve des
joies sublimes, mais qui se trouve aussi amèrement déçue, désillusionnée,
trompée dans sa confiance native… avant de faire à nouveau acte d’espérance en
la vie. Parmi les « héros » de cette lignée, je dois faire mention –
suprêmement – de « L’Idiot » de Dostoïevski, tel qu’il fut incarné
par Philippe Avron au Théâtre de l’Atelier, il y a une quarantaine d’années.
Raison pour laquelle j’ai dédié ce livre à sa mémoire…
F. B.
P.-S. Pour la plupart des auteurs, il est difficile de parler de leur
propre texte, sauf vanité patentée. Car publier un livre, c’est forcément
croire en son œuvre ; et cependant, l’écrivain honnête connaît trop bien
les doutes qui accompagnent l’acte d’écrire, pour oser dire publiquement du
bien de son livre (notamment lorsqu’il rédige la Quatrième de couverture). Il
sait à peu près ce qu’il a voulu faire (c’est-à-dire l’œuvre dont il a
eu le rêve), mais le simple fait d’en parler, parce qu’elle l’oblige à faire
comme s’il avait réussi son entreprise, réveille désagréablement en lui le
syndrome récurrent de la prétention littéraire… Seuls les autres peuvent
vraiment en parler sans gêne, les critiques qui en font la recension,
les lecteurs qui témoignent de ce qu’ils ont cru lire, les professeurs qui les
étudient, etc. – quand bien même leurs lectures seraient objectivement
discutables. Je les appelle donc à ne pas se gêner !
Le problème qui se pose en effet pour moi, c’est que les
« critiques » se taisent. Ils refusent de parler des livres qui sont
sortis du circuit commercial. Tant que personne ne m’a lu, je suis bien obligé
de dire ce que j’ai fait (ou cru faire), dans une présentation la plus
factuelle possible. Ce qui n’est pas simple. Par exemple, j’ai failli dire,
ci-dessus (et voici que le dis maintenant !) : « L’Inscription
de Benjamin est à la fois dialogue sur un récit et récit d’un dialogue ».
Cette formule n’est pas fausse (les interlocuteurs débattent de l’histoire de
B., et ce faisant, font du livre l’histoire d’un débat, et de ses
révélations) ; mais elle se constitue d’une figure de rhétorique qui a
elle-même quelque chose de prétentieux. Et c’est ce qui m’a conduit : 1/ à
ne pas l’employer 2/ à dire pourquoi je ne l’avais pas employée 3/ à la faire
connaître quand même, par une sorte vanité au second degré, qui témoigne de ce
qu’on ne peut pas à la fois être écrivain (cette posture) et prétendre à la
modestie.
Je suis, hélas ! un faux modeste. Et pas peu fier de l’avouer…