mardi 26 mars 2013

« Le Rappel », nouvelle publication des Éditions de Beaugies




● Point de départ.
Une nuit, il y a 25 ans, j’ai fait un rêve comme nous en faisons tous : je me retrouvais vingt-sept ans plus tôt, en pension, dans le corps de mes 15 ans, avec toute ma conscience d’adulte. Je disais à l’avenant : « Je suis ici quelqu’un venu prendre des mesures ». J’ignorais, au réveil, comment les choses s’étaient terminées, mais il m’en restait de très vives sensations. À force de se dire que « la vie est un songe », on oublie que le « songe » peut avoir l’intensité de la vie… ce qui ne laisse personne indifférent.
Je n’étais pas le premier à « revivre » en rêve ce type de situations qui semblent sans issue, alors qu’on en est très bien sorti dans la réalité. Je savais que le thème de la translation dans le temps avait fait l’objet de nombreux romans ou films de science-fiction. C'est dans le traitement du sujet que pouvait être l'originalité. J’ai donc hésité quelques semaines, en prenant des notes. Puis mes intentions se sont précisées...

● Genèse et « intentions de l’auteur ». Ce rêve s’étant saisi de moi, j’ai trouvé judicieux de m’en emparer à mon tour : le prendre au sérieux, entreprendre un récit qui lui donnait sens, ressaisir les atmosphères étranges que j’y avais éprouvées, interroger le mystère du Temps que nous traversons et qui nous traverse. Quelle étrange faculté, en effet, que celle de « se souvenir » ! Qui n’a jamais éprouvé le plaisir étrange de rappeler à soi des moments anciens pourtant très douloureux ? Quelle bizarrerie ! Où cela mène-t-il ? Et si c’était, à l’inverse, le Passé qui nous rappelait ? La vie vaudrait-elle la peine… d’être revécue ?
Sur ce fond d’interrogations troublantes, j’ai donc composé une sorte de délire cohérent, en adoptant – pour le rendre crédible – le ton de l’autobiographie. Je disposais d’éléments suffisants, en moi et autour de moi, pour étoffer ce projet (anecdotes personnelles, situations vécues en commun, et autres témoignages des années 1950). Rédiger le manuscrit m’a pris quelques mois, d’avril 1988 à mai 1989. J’ai osé un certain lyrisme. Un « style d’autrefois » me paraissait devoir convenir au récit d’une histoire de jadis. Et c’est sans doute ce qui a motivé, je pense, le refus des éditeurs…
J’ai alors laissé reposer mon texte, je l’ai repris et mis au point il y a une dizaine d’années. Et le voici aujourd’hui, dans une forme qui me paraît aboutie, compte tenu de ce que j’ai « voulu dire ». Aux lecteurs d’estimer si ce récit leur parle…

● Un récit autobiographique ? Je viens d’employer l’expression « le ton de l’autobiographie ». C'est qu'il faut toujours distinguer le « moi » de l’auteur de celui d’un personnage de fiction que l’on fait parler à la première personne. Formellement, l’emploi du « je », lié aux notations de lieux, de temps, et d’autres indices, sert à « faire croire » à la réalité effective du récit, mais ne renvoie nullement à la personne de l’auteur. Ce livre est un court roman, non une « confession ». J’ai naturellement puisé dans « ma » vie pour constituer celle du « héros », pour authentifier son histoire à l’aide de faits réels ou de traits psychologiques plausibles, mais j’ai beaucoup arrangé, emprunté, inventé pour le faire « exister ». L’objectif du romancier est toujours de rendre le personnage à la fois autonome (indépendant de son auteur) et suffisamment proche de la vie des autres pour que chaque lecteur puisse, peu ou prou, se retrouver en lui. C’est ainsi qu’au fil de l’écriture, il est fréquent que la logique du récit dicte à l’auteur ce qu’il n’avait pas prévu d’écrire, y compris des émotions ou réflexions prêtées à son personnage, et qu’il ne partage pas !

FBH.

   
N.B. Il pourrait être tentant d’appliquer le vocable d’autofiction à la nature de ce livre, puisque l’auteur semble y « essayer » son moi réel en le transportant dans une aventure irréelle. Mais je ne pense pas que le terme soit ici pertinent. L’autofiction répond en effet, pour celui qui l’écrit, au désir de « se » projeter dans une fiction pour s’expliquer son moi : elle demeure égocentrée. Dans le cas du Rappel, la finalité est inverse. Celui qui tient la plume ne fait qu’utiliser le matériau biographique pour étayer la fiction, afin que le lecteur puisse s’identifier, se remémorer des émotions oubliées, et s’interroger sur les strates des temps qu’il a pu vivre lui-même. C’est une allo-fiction… Il est conduit à se dire : « Comment réagirais-je si j’étais replacé dans une telle situation ? »