Du désir d’écrire à la publication effective, il y a de la marge. Cela ne se fait pas en un jour. Je donne ici quelques précisions concernant mes débuts, pour compléter la présentation (1) de mon itinéraire.
1958-1972. L’avant publication. On est souvent « graphomane » avant d’être édité. J’ai écrit pendant plus de quinze ans avant de publier : des rimes, des idées, des impressions fugitives, des intuitions de fond, des « croquis », des projets, des bouts de dialogue, des « pris sur le vif », bref toutes sortes de notations dont on pense qu’un jour ils pourront servir à la composition d’un livre. Je rédigeais aussi un journal personnel (régulier sinon quotidien), où l’analyse de ce que j’ai vécu voisine avec des éléments purement circonstanciels. Comme elle est étrange, si l’on y songe, cette façon d’exister ! Toujours est-il qu’à 24 ans, sortant d’HEC, et décidé à me reconvertir dans l’enseignement des lettres, j’avais dans mes tiroirs un roman, des comédies, et une foule de textes dont le genre s’apparentait aux Propos d’Alain.
Cet apprentissage me fut, si j’ose dire, « techniquement » nécessaire. Mais surtout, j’avais peu à peu mûri ce qui devait être le « Sens » de ma vie, aussi bien dans le cadre de ma profession que dans le domaine plus personnel de mes écrits. Il s’agissait pour moi de transmettre les valeurs issues de ma formation chrétienne et de l’humanisme dont j’avais été pétri. Servir la conscience humaine, à la fois en développant ses résistances critiques et en prônant un idéal de fraternité. Je m’imprégnais avec bonheur du personnalisme d’Emmanuel Mounier. Je méditais le Prologue de L’Évangile selon Saint Jean, qui invite tout professionnel du « verbe » à s’inscrire dans le sillage du Verbe, sans se prendre pour « la lumière », mais pour un simple « témoin de la lumière ».
De 1964 à 1968, année critique où j’ai passé l’agrégation, j’ai ardemment étudié, n’ayant guère le loisir de me consacrer à ma littérature « perso ». En même temps, à travers dissertations, exposés et « mémoires », j’ai dû m’initier à l’écriture analytique (non sans craindre parfois qu’elle conduise à stériliser l’écriture créative). En particulier, en 66-67, j’ai rédigé une étude sur les rapports entre Romantisme et Narcissisme, qui fut mon premier texte d’analyse et de recherche approfondie (une centaine de pages). Par la suite, nommé professeur au lycée de Sèvres, avec une part de mon temps consacré au Centre International d’études Pédagogiques (CIEP), j’ai été chargé de constituer des dossiers sur les sujets suivants : Paris et les Poètes, L’Image du paysan dans la littérature française, La Rêverie maternelle dans Le Grand Meaulnes, Études d’images publicitaires, Douze sketches comiques, Approche du discours politique (présidentielles de 1974), etc. Parallèlement, avec mon ami Paul Lidsky, je rédigeais le « Profil d’une œuvre » sur Jacques Brel pour les éditions Hatier (qui ne paraîtra qu’en 1976).
1973. Première publication et choix du pseudonyme. Il va de soi que, ni à 15 ans, ni à 25, je n’imaginais que je produirais tant de pages de critique littéraire ou d’analyse du discours. Tous ces textes, qui me préparaient à écrire dans le genre de l’essai, étaient signés de mon « vrai » nom, Bruno Hongre. Quoique portant « ma marque », si j’ose dire, ils apparaissaient comme des ouvrages objectifs et professionnels d’un agrégé de lettres, et je ne les vivais pas comme des « publications » personnelles. Cependant, ces travaux ne m’empêchaient pas de songer à divers projets littéraires et de vouloir « écrire vraiment », c’est-à-dire en m’engageant comme écrivain, en toute liberté, dans le champ social. C’est ainsi que je fis paraître dans le journal Combat, en 1973, un feuilleton satirique intitulé Mémoires d’un futur Président. Je reviendrai sur la genèse et l’aventure de ce premier livre dans un prochain message. Pour l’instant, je vais simplement évoquer le choix du pseudonyme « François Brune » et le paradoxe qui en est résulté.
Sans doute y a-t-il eu en effet une certaine timidité de ma part à l’idée de me livrer tout à coup dans un texte politiquement engagé. Mais je voulais surtout, en me donnant une autre signature, distinguer ce texte où j’allais m’engager en toute partialité « citoyenne », dans le cadre du journalisme, des ouvrages didactiques d’un spécialiste supposé impartial – « Bruno Hongre », agrégé de lettres – en passe de publier chez Hatier. Le recours au « nom d’auteur » étant une tradition en littérature, j’ai alors inventé mon pseudo en associant mon prénom à celui de mon épouse, et en vérifiant simplement (dans le Bottin) que personne en région parisienne ne portait effectivement ce nom. La publication suivit. Et dans le sillage de cette publication, toujours sous la signature de ce « nom d’auteur » que j’ai conservé, des « tribunes libres » dans Combat, puis dans le Quotidien de Paris, puis encore des articles dans la revue Esprit (à partir de 1976), puis dans Le Monde (de 1977 à 1981), et la plupart des livres que je vais présenter dans ce site.
Le paradoxe, c’est bien sûr que mon « pseudo » a signé ma « vraie littérature », alors que mon « vrai » nom signait ma littérature la moins personnelle. Comme j’avais de l’affection pour ce « nom d’auteur » (constitué de deux prénoms familiaux), et que je me rendais toujours en chair et en os là où l'on me demandait d’intervenir dans des débats, je m’en accommodais sans avoir le sentiment de tromper les lecteurs. Après tout, écrire, cela peut impliquer qu’on se fasse aussi l’auteur de son propre nom ! Le problème s’est tout de même posé à moi lorsque j’ai appris, vers 1985-86, qu’il existait un autre « François Brune », prêtre, dont c’était le vrai nom, et qui fit paraître alors des livres centrés sur la communication avec les morts. Pour éviter la confusion entre nos ouvrages, celui-ci se fait nommer « Père François Brune » (voir sa fiche sur Wikipédia). De mon côté, également désireux de clarifier les choses, je fais connaître, depuis plusieurs années, dans la page « Du même auteur » de mes livres la liste exhaustive de ce que j’ai écrit sous l'une et l'autre de mes signatures.
L’après 1973. Les aléas postérieurs de mon « itinéraire » d’écrivain seront évoqués dans les présentations de chacun de mes livres, qui vont suivre. Publier est en effet un parcours du combattant dont la suprême devise est sans ambiguïté : il faut déployer plus d’énergie pour écrire que les éditeurs n’en ont pour refuser vos manuscrits.
Cet apprentissage me fut, si j’ose dire, « techniquement » nécessaire. Mais surtout, j’avais peu à peu mûri ce qui devait être le « Sens » de ma vie, aussi bien dans le cadre de ma profession que dans le domaine plus personnel de mes écrits. Il s’agissait pour moi de transmettre les valeurs issues de ma formation chrétienne et de l’humanisme dont j’avais été pétri. Servir la conscience humaine, à la fois en développant ses résistances critiques et en prônant un idéal de fraternité. Je m’imprégnais avec bonheur du personnalisme d’Emmanuel Mounier. Je méditais le Prologue de L’Évangile selon Saint Jean, qui invite tout professionnel du « verbe » à s’inscrire dans le sillage du Verbe, sans se prendre pour « la lumière », mais pour un simple « témoin de la lumière ».
De 1964 à 1968, année critique où j’ai passé l’agrégation, j’ai ardemment étudié, n’ayant guère le loisir de me consacrer à ma littérature « perso ». En même temps, à travers dissertations, exposés et « mémoires », j’ai dû m’initier à l’écriture analytique (non sans craindre parfois qu’elle conduise à stériliser l’écriture créative). En particulier, en 66-67, j’ai rédigé une étude sur les rapports entre Romantisme et Narcissisme, qui fut mon premier texte d’analyse et de recherche approfondie (une centaine de pages). Par la suite, nommé professeur au lycée de Sèvres, avec une part de mon temps consacré au Centre International d’études Pédagogiques (CIEP), j’ai été chargé de constituer des dossiers sur les sujets suivants : Paris et les Poètes, L’Image du paysan dans la littérature française, La Rêverie maternelle dans Le Grand Meaulnes, Études d’images publicitaires, Douze sketches comiques, Approche du discours politique (présidentielles de 1974), etc. Parallèlement, avec mon ami Paul Lidsky, je rédigeais le « Profil d’une œuvre » sur Jacques Brel pour les éditions Hatier (qui ne paraîtra qu’en 1976).
1973. Première publication et choix du pseudonyme. Il va de soi que, ni à 15 ans, ni à 25, je n’imaginais que je produirais tant de pages de critique littéraire ou d’analyse du discours. Tous ces textes, qui me préparaient à écrire dans le genre de l’essai, étaient signés de mon « vrai » nom, Bruno Hongre. Quoique portant « ma marque », si j’ose dire, ils apparaissaient comme des ouvrages objectifs et professionnels d’un agrégé de lettres, et je ne les vivais pas comme des « publications » personnelles. Cependant, ces travaux ne m’empêchaient pas de songer à divers projets littéraires et de vouloir « écrire vraiment », c’est-à-dire en m’engageant comme écrivain, en toute liberté, dans le champ social. C’est ainsi que je fis paraître dans le journal Combat, en 1973, un feuilleton satirique intitulé Mémoires d’un futur Président. Je reviendrai sur la genèse et l’aventure de ce premier livre dans un prochain message. Pour l’instant, je vais simplement évoquer le choix du pseudonyme « François Brune » et le paradoxe qui en est résulté.
Sans doute y a-t-il eu en effet une certaine timidité de ma part à l’idée de me livrer tout à coup dans un texte politiquement engagé. Mais je voulais surtout, en me donnant une autre signature, distinguer ce texte où j’allais m’engager en toute partialité « citoyenne », dans le cadre du journalisme, des ouvrages didactiques d’un spécialiste supposé impartial – « Bruno Hongre », agrégé de lettres – en passe de publier chez Hatier. Le recours au « nom d’auteur » étant une tradition en littérature, j’ai alors inventé mon pseudo en associant mon prénom à celui de mon épouse, et en vérifiant simplement (dans le Bottin) que personne en région parisienne ne portait effectivement ce nom. La publication suivit. Et dans le sillage de cette publication, toujours sous la signature de ce « nom d’auteur » que j’ai conservé, des « tribunes libres » dans Combat, puis dans le Quotidien de Paris, puis encore des articles dans la revue Esprit (à partir de 1976), puis dans Le Monde (de 1977 à 1981), et la plupart des livres que je vais présenter dans ce site.
Le paradoxe, c’est bien sûr que mon « pseudo » a signé ma « vraie littérature », alors que mon « vrai » nom signait ma littérature la moins personnelle. Comme j’avais de l’affection pour ce « nom d’auteur » (constitué de deux prénoms familiaux), et que je me rendais toujours en chair et en os là où l'on me demandait d’intervenir dans des débats, je m’en accommodais sans avoir le sentiment de tromper les lecteurs. Après tout, écrire, cela peut impliquer qu’on se fasse aussi l’auteur de son propre nom ! Le problème s’est tout de même posé à moi lorsque j’ai appris, vers 1985-86, qu’il existait un autre « François Brune », prêtre, dont c’était le vrai nom, et qui fit paraître alors des livres centrés sur la communication avec les morts. Pour éviter la confusion entre nos ouvrages, celui-ci se fait nommer « Père François Brune » (voir sa fiche sur Wikipédia). De mon côté, également désireux de clarifier les choses, je fais connaître, depuis plusieurs années, dans la page « Du même auteur » de mes livres la liste exhaustive de ce que j’ai écrit sous l'une et l'autre de mes signatures.
L’après 1973. Les aléas postérieurs de mon « itinéraire » d’écrivain seront évoqués dans les présentations de chacun de mes livres, qui vont suivre. Publier est en effet un parcours du combattant dont la suprême devise est sans ambiguïté : il faut déployer plus d’énergie pour écrire que les éditeurs n’en ont pour refuser vos manuscrits.
F.B.
4 commentaires:
Tout en comprenant les raisons qui vous ont amené à choisir un pseudonyme, je me demande si ce choix correspond simplement à une distinction entre ouvrages didactiques et littérature personnelle. Si l’on considère les deux listes de livres que vous avez écrits (voir Wikipédia), on a tout de même l’impression d’une forme de dédoublement à la « Docteur Jekyll et Mister Hyde » : d’un côté, un écrivain effectivement « engagé » qui crache son venin et pourfend sans vergogne « le système », de l’autre un professeur tout en modération, humaniste distingué, qui s’offre les joies de la positivité. Est-ce que je me trompe ?
Ce n’est pas tout à fait cela…
Lorsque j’ai choisi de signer "François Brune" ma première publication vraiment « engagée », les Mémoires d’un futur président, il s’agissait formellement d’un récit, stylistiquement travaillé. D’autres textes de forme narrative suivront, et plusieurs manuscrits de facture « littéraire » sont encore dans mes tiroirs : il faut se garder de l’erreur de perspective qui consiste à juger un écrivain sur ses seuls écrits publiés, alors que bien d’autres de ses textes n’ont pas encore réussi à franchir le barrage des éditeurs !
Quant à la démystification du discours politique qui fait l’objet de mon premier livre, elle consistait surtout à pourfendre les falsifications rhétoriques de l’humanisme. Certes, on trouvait déjà dans ce livre ce qu’on retrouvera dans d’autres, de la radicalité critique et de la jubilation revancharde ; mais l’humeur satirique, chez moi, n’est jamais haineuse. Elle s’apparenterait plutôt, en définitive, à de la candeur trompée…
Par ailleurs, la « fatalité » de l’époque fait qu’il est bien difficile, depuis 40 ans, d’énoncer sans dénoncer. La volonté d’être humainement « positif » conduit le plus souvent à « négativer le négatif », c’est-à-dire à stigmatiser les pouvoirs ou les systèmes socio-économiques qui produisent le malheur humain. L’acte d’écrire est alors aussi « positif » que l’acte d’enseigner, d’autant que la transmission des valeurs humanistes par l’enseignant se fait souvent à partir d’œuvres elles-mêmes fort critiques (cf. La Fontaine, Molière, Voltaire). Il s’agit dans l’un et l’autre cas de former ou d’alerter la conscience du (futur) citoyen. Et pour fortifier les consciences, sans sacrifier aux exigences de la lucidité, « Bruno Hongre » et « François Brune » ont bien besoin de se donner la main…
Je reparlerai de la « négativité » littéraire à propos de mon recueil Médiatiquement correct.
Le lecteur orléano-versaillais a dit:
J'ai lu avec intérêt cette analyse des motivations qui poussent à écrire, une analyse en forme de plongée rétrospective jusqu'au fond de l'enfance. Nécessairement il y a un croisement de facteurs: à la fois la force des réactions personnelles au réel (avoir qqch à dire), le goût de l'expression (le vouloir dire), puis spécifiquement, le vouloir écrire, lié aux valorisations familiale, scolaire, sociale du Livre... valorisation qui peut aller jusqu'à la sacralisation et avoir finalement un rôle ambigu d'impulsion et de frein, c'est ce que décrit ce joli livre de Marcel Bénabou Pourquoi je n'ai écrit aucun de mes livres... (à ne pas confondre avec celui que beaucoup d'autres pourraient écrire: Pourquoi je n'ai publié aucun de mes livres, ... sort auquel F. Brune a largement échappé, mais ce n'est pas le moindre intérêt de ce début de blogue que d'avoir évoqué qu'il n'a pas ignoré cette hantise)
Il est bien agréable d'être compris (et c'est d'ailleurs aussi pour cela qu'on écrit et qu'on cherche, en ce qui me concerne du moins, la plus grande clarté)!
Cela dit, dans ce croisement de facteurs que reprend synthétiquement mon royal lecteur (Orléans+Versailles éveillant en moi la connotation "rois de France"), je me demande si l'on n'oublie pas un peu l'idée qu'on écrit pour autrui, pour donner vie à la conscience d'autrui à partir de ce qu'on a vécu soi-même (ou reçu d'autres consciences). Quel est donc cet autre pour lequel j'écris? voilà la question à méditer. C'est un peu une part de moi, bien sûr, mais c'est aussi peut-être le destinataire inconnu pour lequel, sans trop le savoir, j'avais ce message à faire passer, mû par les forces mystérieuses de l'esprit...
Il me semble que "l'inspiration", la vraie, c'est cette saisie de l'être (l'Etre?) qui nous pousse à communiquer la "part de vérité" personnelle dont on pressent que l'autre, si indéfini soit-il, a besoin. Alors, on n'a plus peur d' écrire, on essaie seulement de respecter la mise en garde de Péguy: "Ne jamais rien écrire que de ce que nous avons éprouvé nous-mêmes."
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