Ces deux récits ont paru respectivement en janvier 1976 et juillet 1977, aux éditions de l’EPI-Jeunesse, dans la collection « Le Nouveau Signe de Piste ». Il s’agit à mes yeux d’un diptyque, dans la mesure où le message global de l’histoire ne s’accomplit tout à fait qu’avec le second volume.
Circonstances. Sans qu’il s’agisse à proprement parler « d’œuvres de circonstances », ces livres sont nés de conditions bien particulières, au début des années 1970. D’une part, je m’adressais chaque jour à un public de lycéens qui, ayant connu le bouleversement et les espoirs de mai 68, avaient ensuite vécu un long désenchantement face aux réalités scolaires, sociales et politiques de l’époque. Je n’y étais pas indifférent. Nous avions souvent des débats tournant autour de la « question fondamentale » selon Camus : « juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue ». J’estimais qu’il faisait partie de ma « vocation » humaniste, en tant que professeur de français animant ces débats, de contribuer à leur confiance dans la vie. La « neutralité bienveillante » ne leur suffisait pas… Le personnalisme chrétien que j’avais reçu d’Emmanuel Mounier (et bien sûr sans aucun prosélytisme religieux de ma part), m’inspirait utilement des paroles d’espoir qu’ils attendaient souvent.
D’autre part, je connaissais personnellement Serge Dalens qui, début 1970, tentait de relancer la collection « Signe de piste ». Celle-ci, dont les romans scouts avaient eu leur heure de gloire vingt ans plus tôt, était controversée : elle avait ses détracteurs, qui lui reprochaient l’idéologie de droite présente dans certains titres, et ses laudateurs, qui soulignaient la richesse de son imaginaire et l’élan de ses valeurs, héritées de Baden-Powell. Serge Dalens était conscient de la nécessité d’ouvrir à des récits nouveaux cette collection, pour soutenir la jeune génération aux prises avec une société qui la décourageait de vivre. C’est alors qu’il fit appel à moi pour faciliter cette ouverture, en me demandant de participer au comité de lecture. J’étais un peu étonné, car Serge Dalens et moi étions assez éloignés sur le plan des idées politiques ; mais comme nous étions proches sur le plan des valeurs fondamentales (idéal de fraternité et de justice, confiance dans la générosité des adolescents), j’acceptai son offre.
Genèse de Marc, lycéen. En 1971, voyant que les manuscrits proposés à la nouvelle collection avaient une fâcheuse tendance à reproduire les anciens (le talent en moins), je me suis adressé à un élève dont je suivais l’évolution depuis septembre 1968 pour lui demander d’écrire, en quelque sorte, son histoire de lycéen, ses espoirs et désespoirs, son cheminement vers une certaine maturité. L’idée le tenta, mais il y renonça, n’ayant pas trop envie de se retourner vers un passé douloureux. Je compris alors qu’il me fallait payer de ma personne. L’appel que j’avais lancé se retournait sur moi. Je devais faire, à sa place, au nom de sa génération, l’évocation dramatique de ce que ses camarades et lui-même avaient vécu, non sans témoigner de la valeur essentielle dont j’avais besoin autant qu’eux : croire en la capacité des hommes à construire un monde plus humain. Je me suis donc mis à écrire ce livre en y mettant autant de ferveur fraternelle que je mettais de fougue critique dans la rédaction simultanée des Mémoires d’un futur président. En vérité, lyrique ou satirique, mon engagement a toujours été idéaliste (avez les limites de ce terme).
La trame de Marc, lycéen est sombre. Elle est conforme à la citation de Bernanos que j’ai placée en exergue : « L’espérance, c’est le désespoir surmonté » (Bernanos dit en réalité : « La plus haute forme de l’espérance, c’est le désespoir surmonté »). J’y ai mis en scène une tentative de suicide qui correspond à ce qui s’est passé à une époque où, écoeurés par la guerre du Biafra, deux lycéens de Lille se sont immolés par le feu, créant un vif émoi dans nos discussions en classe. On m’a reproché cette dramatisation, certains lecteurs estimant que la description déprimante de la réalité lycéenne (à la première personne) était plus contagieuse, dans ce récit, que les paroles d’espoir qui le concluent. Ceci fut discuté ; mais je sentais bien qu’il me fallait décrire une expérience humaine réussie pour que le message de confiance en l’homme fût convaincant. J’avais d’ailleurs pensé dès le début à faire de Marc un futur « volontaire » dans le cadre du mouvement Frères des Hommes, mais la chose ne put vraiment se faire que trois ans plus tard.
Genèse de Marc, volontaire. Les aléas de l’édition étant ce qu’ils sont, la parution du premier "Marc" (achevé pour l’essentiel en 1972) ne retardée jusqu’en 1976. Ce fut un notable avantage dans la mesure où, ayant fait lire mon manuscrit à de dizaines d’élèves devenus des amis, j’ai pu y apporter de précieuses corrections. Dès que j’eus la certitude que le livre allait sortir, je me suis empressé de contacter Frères des hommes, demandant aux responsables de l’association si mon personnage (compte tenu de son passé) était réellement susceptible de figurer parmi les volontaires du mouvement, et me mettant à interviewer un certain nombre de ceux-ci sur leur expérience du tiers-monde pour la faire éventuellement vivre, en la transposant, par « Marc »...
J’eus alors la chance d’enregistrer le témoignage de l’un d’entre eux, qui avait passé trois ans dans un village de Haute-Volta (futur Burkina-Faso), au moment où la sécheresse faisait dépérir les troupeaux du Sahel. Ce volontaire – devenu mon co-auteur « Stéphane Goury » – avait en outre tenu un journal de bord. Pour une importante partie de cette « chronique d’un engagement », je n’eus donc à faire que de la réécriture. Ce fut malgré tout un labeur (acharné) de plus de dix-huit mois, que je fis dans le désir d’apporter ma petite pierre au « développement » du Tiers-monde, et que j’eus la joie de dédier
Circonstances. Sans qu’il s’agisse à proprement parler « d’œuvres de circonstances », ces livres sont nés de conditions bien particulières, au début des années 1970. D’une part, je m’adressais chaque jour à un public de lycéens qui, ayant connu le bouleversement et les espoirs de mai 68, avaient ensuite vécu un long désenchantement face aux réalités scolaires, sociales et politiques de l’époque. Je n’y étais pas indifférent. Nous avions souvent des débats tournant autour de la « question fondamentale » selon Camus : « juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue ». J’estimais qu’il faisait partie de ma « vocation » humaniste, en tant que professeur de français animant ces débats, de contribuer à leur confiance dans la vie. La « neutralité bienveillante » ne leur suffisait pas… Le personnalisme chrétien que j’avais reçu d’Emmanuel Mounier (et bien sûr sans aucun prosélytisme religieux de ma part), m’inspirait utilement des paroles d’espoir qu’ils attendaient souvent.
D’autre part, je connaissais personnellement Serge Dalens qui, début 1970, tentait de relancer la collection « Signe de piste ». Celle-ci, dont les romans scouts avaient eu leur heure de gloire vingt ans plus tôt, était controversée : elle avait ses détracteurs, qui lui reprochaient l’idéologie de droite présente dans certains titres, et ses laudateurs, qui soulignaient la richesse de son imaginaire et l’élan de ses valeurs, héritées de Baden-Powell. Serge Dalens était conscient de la nécessité d’ouvrir à des récits nouveaux cette collection, pour soutenir la jeune génération aux prises avec une société qui la décourageait de vivre. C’est alors qu’il fit appel à moi pour faciliter cette ouverture, en me demandant de participer au comité de lecture. J’étais un peu étonné, car Serge Dalens et moi étions assez éloignés sur le plan des idées politiques ; mais comme nous étions proches sur le plan des valeurs fondamentales (idéal de fraternité et de justice, confiance dans la générosité des adolescents), j’acceptai son offre.
Genèse de Marc, lycéen. En 1971, voyant que les manuscrits proposés à la nouvelle collection avaient une fâcheuse tendance à reproduire les anciens (le talent en moins), je me suis adressé à un élève dont je suivais l’évolution depuis septembre 1968 pour lui demander d’écrire, en quelque sorte, son histoire de lycéen, ses espoirs et désespoirs, son cheminement vers une certaine maturité. L’idée le tenta, mais il y renonça, n’ayant pas trop envie de se retourner vers un passé douloureux. Je compris alors qu’il me fallait payer de ma personne. L’appel que j’avais lancé se retournait sur moi. Je devais faire, à sa place, au nom de sa génération, l’évocation dramatique de ce que ses camarades et lui-même avaient vécu, non sans témoigner de la valeur essentielle dont j’avais besoin autant qu’eux : croire en la capacité des hommes à construire un monde plus humain. Je me suis donc mis à écrire ce livre en y mettant autant de ferveur fraternelle que je mettais de fougue critique dans la rédaction simultanée des Mémoires d’un futur président. En vérité, lyrique ou satirique, mon engagement a toujours été idéaliste (avez les limites de ce terme).
La trame de Marc, lycéen est sombre. Elle est conforme à la citation de Bernanos que j’ai placée en exergue : « L’espérance, c’est le désespoir surmonté » (Bernanos dit en réalité : « La plus haute forme de l’espérance, c’est le désespoir surmonté »). J’y ai mis en scène une tentative de suicide qui correspond à ce qui s’est passé à une époque où, écoeurés par la guerre du Biafra, deux lycéens de Lille se sont immolés par le feu, créant un vif émoi dans nos discussions en classe. On m’a reproché cette dramatisation, certains lecteurs estimant que la description déprimante de la réalité lycéenne (à la première personne) était plus contagieuse, dans ce récit, que les paroles d’espoir qui le concluent. Ceci fut discuté ; mais je sentais bien qu’il me fallait décrire une expérience humaine réussie pour que le message de confiance en l’homme fût convaincant. J’avais d’ailleurs pensé dès le début à faire de Marc un futur « volontaire » dans le cadre du mouvement Frères des Hommes, mais la chose ne put vraiment se faire que trois ans plus tard.
Genèse de Marc, volontaire. Les aléas de l’édition étant ce qu’ils sont, la parution du premier "Marc" (achevé pour l’essentiel en 1972) ne retardée jusqu’en 1976. Ce fut un notable avantage dans la mesure où, ayant fait lire mon manuscrit à de dizaines d’élèves devenus des amis, j’ai pu y apporter de précieuses corrections. Dès que j’eus la certitude que le livre allait sortir, je me suis empressé de contacter Frères des hommes, demandant aux responsables de l’association si mon personnage (compte tenu de son passé) était réellement susceptible de figurer parmi les volontaires du mouvement, et me mettant à interviewer un certain nombre de ceux-ci sur leur expérience du tiers-monde pour la faire éventuellement vivre, en la transposant, par « Marc »...
J’eus alors la chance d’enregistrer le témoignage de l’un d’entre eux, qui avait passé trois ans dans un village de Haute-Volta (futur Burkina-Faso), au moment où la sécheresse faisait dépérir les troupeaux du Sahel. Ce volontaire – devenu mon co-auteur « Stéphane Goury » – avait en outre tenu un journal de bord. Pour une importante partie de cette « chronique d’un engagement », je n’eus donc à faire que de la réécriture. Ce fut malgré tout un labeur (acharné) de plus de dix-huit mois, que je fis dans le désir d’apporter ma petite pierre au « développement » du Tiers-monde, et que j’eus la joie de dédier
À tous les humbles de la terre
qui font la bonté du monde
Quoique moins « facile » de lecture que le précédent, Marc, volontaire fut très bien reçu à la fois par le public auquel il était destiné (les 15-16 ans) et par des adultes qui y trouvèrent l’authenticité d’un engagement dont je suis fier d’avoir pu être le transmetteur. Des personnes comme François de Ravignan et Serge Latouche, très averties des intérêts que cache le paternalisme occidental et des limites mêmes du mot « développement », ont réellement apprécié ce livre.
Par rapport à mes autres ouvrages, ces récits sont certes un peu à part. Ils ne sont pas ce qu’on appelle académiquement de la « littérature » (mais qu’est-ce que la littérature ? N’est-ce pas, encore et toujours, une suite de « signes » que l’on inscrit dans des textes en réponse à un appel de la Vie ?). Je n’ai pourtant aucune raison de les renier, d’autant que, je l’ai appris il y a peu, ils sont encore lus et jugés positifs par de jeunes lecteurs qu’ils aident à mûrir.
Certes, je ne les écrirais sans doute pas de la même manière aujourd’hui, peut-être parce que, sans cesser d’être idéaliste, et tout en étant animé des mêmes valeurs, je n’ai sans doute plus cet élan qui me faisait conclure Marc lycéen par ces mots : « Le monde est encore à bâtir, je suis jeune, et je ne suis pas seul ». Je sais aussi que, lorsqu’on écrit, l’on est traversé par la parole de notre époque, et celle-ci a évidemment « changé ». Je suis devenu très critique à l’égard de la mondialisation et de la conception que ses zélateurs se font du « développement », dont on perçoit les dégâts sur la planète.
Reste que le fond de ces ouvrages demeure : il n’y a pas d’avenir pour l’homme sans un humanisme spirituel. Et comme je l’ai parfois dit à mes élèves : il faut croire en l’homme malgré l’homme.
F.B.
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